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Parcours Abdelkérim, itinéraire d'un enfant doué
L'Alsace

Meilleur athlète tchadien, Abdoulaye Abdelkérim domine toutes les courses sur route en Alsace depuis un an. Héros dans son pays, il rêve désormais de franchir un cap vers le niveau mondial.

Avril 2006. N’Djamena, capitale du Tchad, un des pays les plus pauvres de la planète. À la Primature, le Premier ministre Pascal Yoadimnadji reçoit Abdoulaye Abdelkérim comme un héros. Le jeune athlète vient de remporter le semi-marathon de Dakar au Sénégal et fait la fierté de ses concitoyens. « Le sport participe de la consolidation de l’unité nationale, car c’est à l’unisson et dans la communion que les Tchadiens ont accueilli votre victoire », soulignait le chef du gouvernement.
Abdoulaye Abdelkérim, 26 ans aujourd’hui, sait alors qu’il a choisi la bonne voie. Il peut donc jeter un regard attendri vers ses jeunes années passées à Mongo, chef-lieu de la région du Guéra, à 400 kilomètres à l’est de N’Djamena, sur la route d’Abéché menant vers le Soudan. Le Guéra, ses étendues plates parsemées de manguiers, de goyaviers ou de citronniers, entourées de hautes montagnes, façonnées par le vent, qui forment à la saison des pluies des oueds très violents, transformés à la saison sèche en pistes de sable.

« J’allais garder tous les week-ends notre troupeau de chèvres et de moutons »

Mongo, où le Tchadien a vécu une enfance heureuse, en ayant la chance d’aller à l’école jusqu’à y obtenir le bac, ce qui est plutôt rare. C’est là qu’il se bâtit un véritable physique. « Si j’étais à l’école en semaine, j’allais garder tous les week-ends notre troupeau de chèvres et de moutons dans les monts Barbaza. C’est ce qui m’a forgé. Dans une journée, nous faisions beaucoup de kilomètres pour chercher les meilleurs pâturages. Le soir, j’étais vraiment fatigué. Durant les vacances scolaires, j’accompagnais mes parents aux champs, où nous cultivions le mil, l’arachide, le sésame. » Dans un paysage envoûtant, magnifique, mais marqué par l’inexorable avancée du désert, son caractère de battant se dévoile.
Poussé par son maître d’école, il participe dès son plus jeune âge à quelques courses à pied organisées par les militaires ou les « Dami », ces soldats français stationnés à Mongo. Il gagne presque à chaque fois. Après avoir décroché son bac, il est bien tenté par l’Université, mais sa famille refuse.

Repéré par un conseiller de la police tchadienne

Il choisit quand même de se rendre à la capitale, comme de très nombreux jeunes Tchadiens, qui y voient l’eldorado, y décèlent la chance d’un avenir meilleur. Pour Abdoulaye, le sport devient l’objectif numéro un. Il court donc très souvent, le long du Chari, le grand fleuve, ou parfois au seul stade de la ville, même s’il ne rejoint aucun club, le sport n’étant guère structuré. Il a alors le bonheur d’être repéré par Sylvain Rambault, un policier français qui est conseiller du directeur de la police tchadienne. Celui-ci remarque son talent et lui concocte un programme d’entraînement. En 2004, il gagne haut la main le semi-marathon de N’Djamena, dont le gros lot est un sésame pour participer au marathon de Paris. C’est le début d’une folle épopée, puisqu’outre Paris (il y finit au-delà de la 100e place en 2004, mais déjà 35e en 2006), Abdoulaye sillonne l’Afrique centrale et de l’Ouest, courant aussi bien à Libreville, à Yaoundé qu’à Dakar. À chaque fois, il franchit la ligne d’arrivée en vainqueur. En 2005, il passe deux mois à Toulouse, aidé par William Rosso, un autre Français rencontré à N’Djamena, remportant de nombreux cross dans le Sud-Ouest.
Il songe alors à la France pour gagner sa vie, pour profiter de son indéniable talent. Mais il fera un détour par l’Inde au championnat du monde militaire. « Je n’étais pas à l’armée, mais vous connaissez le Tchad… J’étais le meilleur athlète et on m’y a envoyé ». Il ne finit cependant pas cette course et met le 22 octobre dernier le cap vers l’Hexagone, accompagné de Hamed Ousmane, coureur de 400 m et 800 m, aujourd’hui membre de l’ASPTT Strasbourg. Il se pose dans la capitale alsacienne et s’entraîne au Parc de l’Orangerie, où il sera vite repéré (lire ci-contre).

« Au Tchad, nous pourrions être comme les Kenyans »

Depuis un an, entraîné par Fernand Kolbeck à l’ASL Robertsau, il domine outrageusement toutes les courses organisées en Alsace, ce qui lui permet de vivre et d’aider sa maman à Mongo. « Le pays me manque quand même, sourit-il. Je suis un peu isolé ici. Mais je suis très bien entouré par les gens du club, qui m’aident énormément. Je bénéficie d’un entourage solide, et je travaille même depuis quelques jours dans un magasin Lidl », dont le patron s’entraîne à La Robertsau. « Je souhaite encore courir une dizaine d’années. Ensuite, après ma carrière, j’espère pouvoir retourner au Tchad et y ouvrir une boutique sportive. Nous sommes totalement dénués d’équipements. J’ai voyagé dans 24 pays d’Afrique et je n’y ai pas vu un seul magasin digne de ce nom. J’ai déjà un terrain à N’Djamena et j’aimerais donner quelques atouts à notre jeunesse, en ouvrant aussi un centre d’entraînement. Au Tchad, le potentiel est immense. Il y a des talents partout, et je suis persuadé que nous pourrions être comme les Kenyans. Mais sans stabilité politico-militaire, c’est trop risqué ».
Heureux de vivre une expérience très forte à l’étranger, Abdoulaye Abdelkérim n’en oublie pas moins son pays, n’hésitant pas à préparer soi-même la boule de mil, le plat traditionnel. Cd sont les routes alsaciennes qu’il sillonne, mais les pistes tchadiennes restent omniprésentes, quelque part dans son esprit. Le petit gardien de troupeau est devenu un athlète reconnu.

Marc Welib
Lalsace.fr

Tag(s) : #France
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