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« Monsieur le Président, vous êtes en état d’arrestation. » Sauf coup d’État à Khartoum, il y a très peu de chances pour que le chef de l’État soudanais Omar el-Béchir entende cette phrase fatidique tant qu’il demeurera au pouvoir. Il n’empêche : en validant, comme on leur en prête l’intention, la demande du procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno-Ocampo, de délivrer un mandat d’arrêt contre ce général-dictateur, les juges de La Haye s’apprêtent sans doute à marquer l’Histoire. Les inculpations lancées par la CPI (dont les statuts ont été signés par 108 États) étant irréversibles, Omar el-Béchir pourrait dès lors (et au mieux) vivre jusqu’à la fin de ses jours avec l’épée de Damoclès d’un procès infamant suspendu au-dessus de sa tête. On comprend mieux dans ces conditions que l’explication entre l’intéressé et le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon début février, à Addis, ait tourné à la foire d’empoigne.

La Cour internationale de justice, qui ne dispose pas de force de police, ne se fait aucune illusion sur sa capacité à arrêter le président soudanais. Mais elle espère l’isoler, le discréditer, susciter au besoin son renversement et agiter la menace d’un sort identique sous le nez de certains de ses homologues. Même si ce militaire obtus, arabo-musulman et proche de l’islamisme radical fait un peu trop figure de diable idéal, pourquoi pas ? Après tout, on relèvera que personne, parmi ceux qui s’opposent à cette initiative – les chefs d’État membres de l’Union africaine et de la Ligue arabe, la Chine, la Russie… –, ne nie vraiment qu’El-Béchir ait joué un rôle dans les massacres de masse commis par son armée au Darfour. Leur argumentation, loin d’être infondée, porte sur le côté risqué, voire dangereux, d’un pari qui peut fort bien entraîner une radicalisation extrémiste du pouvoir, dont les compatriotes d’El-Béchir feront les frais. Elle porte aussi sur le qualificatif d’« intention génocidaire », laquelle est loin d’être avérée. Elle repose enfin, il faut le reconnaître, sur une solidarité un peu honteuse teintée de quelques mauvaises et indicibles raisons.

Ces préventions, certes, ne changent rien quant au fond : la lutte contre l’impunité est un objectif louable, et la création de la CPI a été saluée à juste titre comme une avancée majeure en ce sens. C’est ailleurs que le bât blesse. Il n’y aura jamais de procès contre Vladimir Poutine pour les crimes commis en Tchétchénie, aucun responsable israélien ne fait l’objet de poursuites devant la CPI et Donald Rumsfeld coule une retraite paisible. Il est d’ailleurs piquant de constater que la personnalité la plus engagée aux côtés de Moreno-Ocampo, au point d’avoir fait du « génocide » darfourien une affaire personnelle, n’est autre que l’Américaine Susan Rice, la représentante auprès de l’ONU d’un pays qui n’a jamais daigné ratifier les statuts de la CPI. Il est fâcheux qu’une cause aussi noble que celle de la justice internationale donne parfois l’impression d’être instrumentalisée. 

François Soudan
Jeune Afrique 

Tag(s) : #Politique
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