Tchad: la famille d'Ibni Oumar, l'opposant disparu,
croit encore au miracle
AFP/21/5/2008
N'DJAMENA (AFP) — "Je garde encore espoir. L'espoir demeure", affirme à l'AFP Sadia Brahim, la femme de l'opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, disparu depuis le 3 février. Mais en privé, des observateurs et acteurs politiques tchadiens le considèrent comme mort.
"Je sens qu'il est encore vivant. Nous espérons. Nous n'avons pas le droit de renoncer", poursuit son cousin Moussa Mahamat Saleh, aux côtés de Sadi Brahim, dans la maison d'Ibni Oumar à N'Djamena, là-même où il a été arrêté le 3 février par des soldats du président Idriss Deby Itno dans le sillage de l'attaque rebelle qui a fait chanceler le régime.
Deux autres opposants, Lol Mahamat Choua et Ngarlejy Yorongar, disparus pendant plusieurs jours dans les mêmes conditions, ont depuis retrouvé leur liberté. Si Lol Mahamat Choua refuse de se prononcer, M. Yorongar a lui indiqué à plusieurs reprises sa crainte qu'Ibni soit mort.
Affirmant avoir été détenu dans la même prison qu'Ibni, il assure que ce dernier avait reçu "des coups de poing, coups de crosse, coups de pied (...). Je crois savoir qu'il est mort, à moins d'un miracle, mais je ne crois pas à un miracle. Ou bien on l'a amené dans un hôpital tenu secret, ce qui m'étonnerait, parce que vu l'état dans lequel on l'a mis, pour moi il est mort", avait affirmé M. Yorongar en mars.
De nombreux observateurs et dirigeants partagent cet avis sur le sort d'Ibni, sans vouloir en faire état publiquement par respect pour la famille.
Trois mois après sa disparition, il n'y a aucune trace du porte-parole de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC), la principale coalition de l'opposition, et secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement (PLD).
La CPDC, qui avait fait de l'éclaircissement du sort d'Ibni une condition sine qua non de la reprise du dialogue avec le gouvernement, a depuis recommencé son travail au Comité de suivi de l'accord du 13 août 2007 censé aboutir à des élections démocratiques en 2009.
Quatre membres de l'opposition appartenant à la CPDC ont aussi intégré le gouvernement d'ouverture du Premier ministre Youssouf Saleh Abbas constitué fin avril.
"Nous sommes déçus par leur attitude", déclare Sadia Brahim. "Mon mari ne voulait pas de l'accord du 13 août mais il l'avait signé au nom de la solidarité et pour ne pas être un obstacle".
Et elle avoue: "sa disparition arrange même certains membres de l'opposition".
La famille espère qu'Ibni est enfermé en prison, au secret. "Il a été au Palais rose (palais présidentiel), c'est sûr. Mais, après, ils l'ont transféré. Ils (les pouvoirs publics) disent qu'ils ne l'ont pas arrêté, mais c'est faux. Peut-être préparent-ils des scénarios?", s'interroge Moussa Saleh.
La famille n'espère "rien" de la commission d'enquête qui doit faire la lumière sur l'offensive des rebelles et les jours qui ont suivi leur passage éclair dans N'Djamena. "Qu'est ce que c'est, cette commission? Elle n'est pas indépendante", affirme Sadia Brahim.
"Nous comptons sur la Communauté internationale, la France, la Fédération internationale des Droits de l'homme, Amnesty International. Il faut mettre la pression", précise Moussa Saleh.
La famille a peur désormais "qu'on" exécute et fasse disparaître Ibni pour éviter toute explication. "Ce ne serait pas la première fois que Deby fait exécuter un opposant qui le gène", souligne Sadia Brahim, avouant s'être préparée au pire.
Il y a quelques semaines, des rumeurs ont fait état de la découverte d'un corps pouvant être celui d'Ibni, exécuté par balle, les mains attachées.
"On se remet à Dieu, conclut Moussa Saleh. Dieu décide. Inch'allah, Ibni est vivant".