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1ère partie : L’EUFOR, coup de projecteur sur la Présidence « France-Afrique » de l’UE

La crise au Darfour a eu un impact médiatique important lors de la dernière campagne présidentielle française, notamment par l’intermédiaire de Bernard Kouchner. Elu, le nouveau Président français a décidé de mettre l’accent sur cette question de politique étrangère. Cette volonté, combinée à une autre exigence présidentielle visant à légitimer la Politique Européenne de Défense et de Sécurité (PESD), notamment dans le cadre de la présidence française de l’Union Européenne, a abouti au lancement d’une force européenne au Tchad et en Centrafrique – l’Eufor – afin d’agir sur les conséquences humanitaires du conflit au Darfour. Pourtant, sa mise en place pose de sérieux doutes sur la légitimité que cette mission est censée conférer à la PESD dont l’institutionnalisation rencontre de nombreuses réserves notamment de la part des pays de l’UE traditionnellement neutres (Finlande, Autriche, etc..)

 

Le théâtre des opérations de L’Eufor Chad/Centrafrique se situe dans une ancienne zone coloniale française. La force est composée en majorité de soldats et de matériel français. Ce déploiement, autorisé par le Conseil de Sécurité de l’ONU, a pourtant suscité de nombreuses interrogations en Europe quant à sa neutralité. L’aide apportée par les militaires français de l’Opération Épervier – en poste depuis 1986 - au gouvernement tchadien pour faire face à l’attaque de N’Djamena par des rebelles soutenus par le Soudan au début du mois de février 2008 a fortement contribué à menacer cette neutralité. Paris a justifié cette intervention en invoquant le caractère légal du régime tchadien. Cet épisode a une fois de plus engendré le report du déploiement de l’Eufor qui a depuis eu lieu. Au-delà, l’enjeu principal est de mettre en perspective l’intérêt et les risques de cette mission particulière pour l’avenir de la PESD dans des conditions politiques et stratégiques très difficiles.

Darfour : la nécessité d’une approche régionale

Selon les chiffres de l’ONU , la crise au Darfour a, à ce jour, entraîné la mort de presque 300 000 personnes et le déplacement de plusieurs millions de civils. Cette crise a eu un impact majeur sur la situation au Tchad, pays voisin dans lequel 450 000 réfugiés en provenance du Soudan ou déplacés internes survivent depuis 2004 dans des conditions d’autant plus difficiles que ce pays est en proie à un conflit interne depuis plusieurs années. La justification politique au niveau européen à l’origine de l’Eufor était donc d’agir sur les conséquences humanitaires de la crise du Darfour. En plus de l’intervention de l’Eufor, une mission « hybride » des Nations Unies et de l’Union Africaine (Minuad) qui devra compter à terme 26000 hommes (seuls 10 000 sont actuellement sur place un an après son lancement) est en cours de déploiement dans la région voisine. Ce déploiement se heurte à de nombreuses difficultés politiques, stratégiques et matérielles du fait de la difficulté d’obtenir des pays développés les équipements nécessaires à ce type d’opérations.

L’Eufor poursuit deux objectifs principaux. Le premier concerne sa mission en tant que telle. Son déploiement dans une zone à la frontière entre le Soudan, le Tchad et la République Centrafricaine (voir carte) s’effectue dans le cadre de la résolution 1778 adoptée en 2007 par le Conseil de Sécurité de l’ONU sur recommandation de la France. Selon cette résolution, l’Eufor est autorisée « à prendre toutes les mesures nécessaires, dans la limite de ses capacités et dans sa zone d’opération dans l’Est du Tchad et dans le Nord-Est de la République centrafricaine, pour contribuer à la protection des réfugiés et des personnes déplacées et faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire [1] » . Le Conseil de l’Union européenne a approuvé ce déploiement au mois d’octobre dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Pour remplir ce mandat, l’Eufor a déployé plus de 3700 hommes – dont environ 60% de français – dans un laps de temps réduit (déploiement ayant atteint sa capacité opérationnelle initiale en mars 2008).

 

Le second objectif est plus politique et tient au fait que le renforcement de la défense européenne (PESD) constitue un des objectifs principaux de la Présidence française du Conseil de l’UE qui a débuté le 1er juillet 2008. Le but d’une telle opération est ainsi de faire la démonstration, dans une crise d’ampleur globale, que l’Europe peut assumer ses responsabilités géopolitiques. Cela est d’autant plus important que les puissances européennes ont multiplié les camouflets comme en attestent les difficultés pour faire face à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, pourtant située à leur porte. En outre, le traité de Lisbonne prévoit l’intégration croissante des structures communautaires de la PESD, jusqu’alors affectée par un processus décisionnel intergouvernemental encombrant quand il s’agit de mettre en place des opérations de manière rapide.

A cela s’ajoute un déficit de légitimité de la PESD dans la mesure où les Britanniques et certains pays d’Europe de l’Est redoutent plus ou moins à mots couverts que le développement de la PESD puissent se faire au détriment de l’OTAN. Ainsi, les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy selon lesquelles la France reprendrait « toute sa place » dans l’OTAN, dernier pas symbolique et politique à franchir alors que la France contribue déjà largement à son budget et à son personnel, peut être vue comme la tentative de ménager les susceptibilités. Pourtant, Paris n’a convaincu ni le Royaume Uni ni l’Allemagne de participer à l’EUFOR Tchad/RCA alors qu’il s’agit des principales puissances militaires européennes aux côtés de la France. Quant aux autres, ils ont aussi été difficiles à convaincre, chacun traînant le plus possible pour ne pas faire trop d’efforts ou ayant décliné l’invitation prétextant l’engagement sur d’autres terrains. Au final, le déploiement prévu en novembre 2007 a donc été une première fois repoussé. Décidée à limiter l’attente, la France – ainsi que la Russie, l’Ukraine et l’Albanie plus récemment ! – a concédé à l’état major les hélicoptères et les avions nécessaires au lancement de l’opération au mois de janvier 2008 après une énième conférence de génération de forces dont la plupart à l’automne 2007 s’était soldée par des échecs [2].

Cette quête de légitimité de la PESD au Tchad s’appuie également sur le caractère multidimensionnel de cette force qui ne se limite pas à des opérations militaires (à la différence de l’OTAN souvent) puisqu’elle permet de mettre en place des opérations civiles, notamment afin de recevoir le soutien de la population locale. Laissées à l’appréciation des pays participant qui doivent en référer à l’Etat major, ces opérations ont pourtant suscité la crainte de nombreuses organisations humanitaires présentes sur le terrain de peur d’être assimilées à l’Eufor et d’être ainsi prises pour cible [3]. Car, en effet, l’Eufor, contestée en Europe, l’est également sur le terrain par les forces rebelles et, plus récemment, par le régime tchadien. Ainsi, Albissaty Saleh Allazan – membre du mouvement rebel Conseil d’Action Révolutionnaire – prévenait dès septembre dernier que si l’Eufor s’interposait entre eux et N’Djamena (gouvernement tchadien), l’EUFOR serait considérée comme ennemi [4]. Ainsi le flou de son mandat et les réserves émises quant à sa neutralité constituent les principaux problèmes de l’Eufor.

La neutralité de l’Eufor en question

Le Parlement européen tout en approuvant cette opération le 27 septembre 2007, regrettait néanmoins que davantage de pays ne se soient engagés dans cette dernière. Les députés européens soulignaient dans leur prise de position la nécessité absolue que cette intervention soit neutre et impartiale par rapport à la situation interne tchadienne et regrettait que le commandement se fasse depuis le Mont Valérien plutôt que depuis Bruxelles [5].

En effet, déjà critiques sur la prédominance française au sein de l’Eufor dans son « ancien » pré carré, les partenaires européens de la France n’ont pas été rassurés par l’intervention directe de l’Elysée auprès d’Idriss Déby pour repousser les rebelles début février 2008. Les accords de paix signés à Syrte en octobre 2007 entre le gouvernement tchadien et quatre des principaux mouvements rebelles ont en effet fait long feu. Les mots de Bernard Kouchner devant la commission des affaires étrangères du Sénat français le 6 février 2008 selon lesquels « la France soutient le gouvernement légitime du Tchad mais a choisi de ne pas intervenir militairement dans les combats entre Tchadiens » n’ont pas atténué la portée des images et notamment celle de Hervé Morin photographié arme au poing au même moment à N’Djaména. Les commentaires au lendemain de cette attaque ont relayé les craintes exprimées par de nombreux parlementaires européens à l’automne 2007. Alex de Waal [6] commentateur aguerri du conflit, remarquait aussitôt que si "La Françafrique semblait bien malade, après (cette) injection de testostérone, elle est vivante et bien vivante". De manière plus policée mais non moins clairement, le Chancelier autrichien remarquait le 8 février que si « un contributeur (européen) apportait un support armé à une des parties engagées dans les querelles tchadiennes, l’Union européenne devrait pouvoir considérer l’option consistant à retirer ses troupes [7] » . Sans la France, Idriss Déby n’aurait vraisemblablement pas été capable de repousser l’offensive rebelle en provenance du Soudan. Avortée, cette tentative n’a pas pour autant engendré la défaite complète des forces rebelles. Le pouvoir tchadien, un temps acculé dans le palais présidentiel, s’est même vu proposer l’évacuation. Les hésitations de Paris, liées comme on peut le supposer à l’affaire de l’Arche de Zoé, ont ainsi finalement penché vers l’aide militaire au pouvoir tchadien [8].

Quant au caractère légitime du gouvernement tchadien invoqué par Kouchner et Sarkozy, il est permis d’en douter – au mieux - vue la manière dont il a pris le pouvoir en 1990 et la façon dont il a été réélu depuis. Au lendemain de sa victoire, il en a d’ailleurs profité pour expulser de la capitale plusieurs milliers de civils ainsi que faire disparaître plusieurs figures importantes de l’opposition politique. Interrogé sur cette question, Déby a répondu qu’il n’avait que faire de ces « détails » puisque il était engagé à « sauver » son pays. A ce jour, plusieurs sont réapparus mais d’autres comme Ibni Oumar Mahamat Saleh sont toujours portés disparus. Pis, beaucoup s’étonnent que ni l’aide militaire durant cette offensive ni l’opération Eufor qui permet à Déby comme il l’a lui-même concédé, de disposer de davantage de force, n’ait été davantage utilisé comme un moyen de faire pression vers une ouverture politique du régime tchadien. Dans ce cadre, il est trop tôt pour savoir si le récent changement de Premier ministre intervenu en avril dernier, qui a fait de la résolution des questions internes une priorité et considéré comme plus proche des opposants, constitue une stratégie politique ou un réel effort. Le problème du côté français est que comme souvent l’affaire est présentée de manière plutôt simpliste, soit c’est Déby soit c’est les rebelles, et donc la mainmise de Khartoum (Soudan) sur la région, en omettant de préciser qu’il existe tout de même une opposition civile au Tchad.

 

La question se pose alors de savoir l’attitude qu’adopterait l’Eufor dans l’éventualité d’une attaque rebelle sur la capitale et surtout de ses relations avec les militaires français de l’Opération Epervier dont la distinction « physique » est en vérité loin d’être facile sur le terrain. En effet, de nombreux militaires français de l’opération Epervier, déjà présents sur place, ont troqué leur badge pour celui de l’Eufor, les deux forces ayant de plus leur base respective à proximité l’une de l’autre. Dans un communiqué du 29 janvier 2008, l’Eurodéputée verte Marie Hélène Aubert s’interrogeait d’ailleurs pour savoir comment « la neutralité des troupes européennes pourra être garantie dans une situation proche de la guerre civile, avec une armée française qui intervient au même moment en faveur du Président tchadien Deby ». L’attaque rebelle du mois de juin n’a pas permis de fournir une réponse claire puisqu’elle est restée circonscrite à l’est du pays. Bernard Kouchner a cru néanmoins bon de rappeler que "La France n’est pas intervenue et n’interviendra plus [9]". Car ce n’est pas le moindre des paradoxes ; on peut se demander si l’afflux de soldats dans des opérations de maintien de la paix peut avoir un réel impact dans une situation où la paix est moins à maintenir qu’à faire. Ainsi, au-delà du caractère événementiel, cet épisode met surtout en relief le manque de réflexion politique sur la situation interne au Tchad et sur les liens avec le conflit soudanais qui constituent en réalité une crise régionale sur le long terme.

Darfour : pourquoi l’Europe se trompe (2/2) 

 

[1] La Documentation française, 2008

[2] Voir les archives du Blog Secret Défense

[3] Irin news

[4] Irin news

[5] Résolution du Parlement européen du 27 septembre 2007 sur l’opération PESD à l’Est du Tchad et au Nord de la République centrafricaine, P6_TA-PROV(2007)0419

[6] Voir le blog « Making sense of Darfur »

[7] Voir German Institute for International and Security Affairs

[8] Le Monde, « Obscénité franco-tchadienne », 13/02/2008

[9] Le Monde, 15/06/2008

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