Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

2ème partie : Erreurs de jugement...

L’intervention lancée par l’Union européenne à la frontière du Darfour a suscité de nombreux débats. Cela a été plus particulièrement le cas quant à l’ambiguité du rôle joué par la France dans cette opération EUFOR. En effet, les efforts français pour renforcer la politique européenne de sécurité et de défense dans un pays avec lequel elle entretient des liens historiques ont jetté de serieux doutes sur la neutralité de la mission. Pourtant, cette tension évoquée dans la première partie n’épuise pas le sujet puisque les réponses apportées à la crise au Darfour, à l’origine du lancement de cette opération, répondent souvent à une conceptualisation incomplète de la situation.

 

Pour comprendre pourquoi la situation au Darfour est fortement liée aux conflits internes au Tchad, il est nécessaire dans un premier temps d’apporter quelques précisions historiques . Dès 1965, au lendemain de son indépendance, le Tchad a été confronté à des conflits internes dont l’origine se situe dans la région du Darfour. Quant au conflit qui s’y joue actuellement, il trouve lui-même son origine en 1987 dans les luttes de pouvoir au Tchad. En fait, l’histoire récente des deux pays a été émaillée par des renversements d’alliance incessants et des conflits indirects entre les deux pays. Ainsi, les rebelles ayant attaqués N’Djamena en février sont des anciens proches de Déby (Président du Tchad), voir même des membres de sa famille, frustrés de ne pas avoir davantage accès au pouvoir. Ces renversements s’opèrent en fonction de stratégies politiques de l’un ou l’autre des pouvoirs en place et de leur soutien respectif. Ainsi, les Français ont d’abord combattu Déby avant de le soutenir. Quant à Khartoum (Soudan), le pouvoir a favorisé l’accession de Déby en 1990 avant de le combattre aujourd’hui. De 1990 à 2003, Khartoum et N’Djamena ont cessé de soutenir de manière trop évidente les rebelles qui contestaient le pouvoir « légal » dans l’un ou l’autre des deux pays. Mais la constitution des mouvements rebelles au Darfour, notamment du Mouvement pour la Justice et l’Egalité (JEM) formé de nombreux Zaghawa tchadiens- ethnie dont Déby et sa hiérarchie militaire sont issus –, pour résister aux Janjaweeds soutenus par Khartoum, a peu à peu entraîné le Tchad dans le conflit au Darfour alors que le Tchad avait dans un premier temps refusé de s’impliquer. En représailles, le Soudan s’est associé aux rebelles contestant Déby et s’en est suivi l’escalade du conflit par rebelles interposés dans une région où les appartenances nationales ont peu de sens. Ainsi, en mai 2008, la percée jusqu’à Khartoum des rebelles a répondu à l’attaque de N’Djamena en février, attaque réitérée avec un succès moindre en juin dernier dans l’est du pays [1]

De plus, ces changements d’alliance n’impliquent pas forcément les groupes familiaux ou ethniques dans leur totalité. La fluidité des appartenances identitaires fait que même au niveau individuel un soutien de l’un ou l’autre des gouvernements n’est pas forcément exclusif d’un soutien ultérieur aux rebelles en fonction des formes prises par la mobilisation politique et les avantages matériels induits par un changement de front [2] .

 

En conséquence, la stratégie européenne consistant à contenir les conséquences humanitaires du conflit au Darfour par l’intermédiaire de forces armées n’apporte pas de solution politique au conflit tandis que les strictes attributions de la force sont difficiles à assurer. En effet, du point de vue de la situation humanitaire, certains doutent de l’efficacité d’une telle mission dans une région aussi vaste qu’instable. L’assassinat d’un humanitaire français travaillant pour l’ONG Save the Children témoigne de la difficulté de cette mission d’autant plus qu’elle ne dispose pas de pouvoir de police pour contrer les attaques des "coupeurs de route", nombreux à l’est du Tchad. Dévolu à la Minurcat, la force de police des nations Unies, ces pouvoirs ne sont que mal assurés dans la mesure où cette force n’est pas encore déployée ; les policiers tchadiens n’étant pas encore formés. Sans influence ni sur les rebelles (pour maintenir sa nécessaire neutralité), ni surtout sur le banditisme, l’Eufor reste donc très limitée. Le Général Ganascia, chef des opérations sur le terrain, concédait lui-même qu’il était difficile de remplir totalement la mission dévolue à l’Eufor [3]

La seconde conséquence porte sur la substance même de l’Eufor, résumée de manière frappante par un diplomate « Il y a eu une sorte d’emballement diplomatique, politique, médiatique et humanitaire. Le problème, c’était le Darfour. L’opinion publique en Europe, et plus encore aux Etats-Unis, était émue devant le "génocide". Il fallait faire quelque chose. On l’a fait au Tchad : c’était plus facile, moins contraignant, moins sensible politiquement, qu’au Soudan. Et puis la France était sur place. Mais cela ne règle en rien les problèmes du Darfour » [4]. Cette opinion avait été précédemment défendue lors de vifs débats au sein du Comité Politique et de Sécurité (COPS – comité impliqué dans l’organisation des missions militaires au niveau européen) au sein duquel l’Allemagne avait fait part de ses doutes sur l’intérêt stratégique d’intervenir au Tchad pour réellement intervenir aux sources de cette crise complexe.

Un changement souhaitable de stratégie au Darfour

En effet, la situation au Darfour et dans la région est trop souvent simplifiée à l’excès. D’une part, les problèmes humanitaires au Tchad ne sont pas le simple fait des combats sévissant au Darfour puisqu’il y de nombreux problèmes internes. D’autre part, dépeindre le Darfour comme un combat entre Noirs et Arabes, entre le Bien et le Mal (surtout aux Etats-Unis) est largement abusif. Certains n’hésitent pas à dresser des parallèles avec la Shoah [5] et c’est d’ailleurs « l’US Holocaust Museum » qui en 2004 proclamait qu’un génocide était en train d’être commis au Darfour : la déclaration du procureur de la Cour Pénale Internationale pour justifier le lancement d’un mandat contre le Président soudanais Omar al-Beshir étant la dernière manifestation de cette lecture simplificatrice [6].

 

Bref, dans cette région, comme ailleurs en Afrique, il n’y aurait ni histoire ni politique... Efficace au niveau de la publicisation du conflit et de la mobilisation, résumer ainsi le conflit au Darfour est évocateur d’un certain problème d’appréhension des dynamiques politiques dans cette région puisqu’il s’agit d’abord et avant tout d’un conflit, certes catastrophique en termes humains, pour le pouvoir et les terres (entre nomades et populations sédentaires). La diabolisation d’une des parties n’est ainsi pas favorable à la sortie politique et diplomatique d’une crise dont les conséquences majeures en termes humains sont surtout intervenues entre 2003 et 2004.

Ainsi, l’opération européenne pourrait s’avérer décisive si elle était accompagnée d’un véritable effort de résolution diplomatique, aussi bien au Tchad qu’au Soudan, à défaut duquel peu de changements seront induits. Cela est d’autant plus le cas que l’Eufor s’achèvera en mars 2009 avant que sa mission soit assurée par le Tchad - dont le Président lutte pour sa survie politique – et par les Nations Unies, qui souffrent de leur côté du désintérêt croissant des puissances occidentales en termes d’implication dans les forces de maintien de la paix. Comme sur d’autres sujets, l’Union européenne aurait certainement intérêt à consacrer ses efforts à la recherche de solution politique pour faire entendre sa différence et surtout à s’impliquer militairement, si nécessaire, par l’intermédiaire des forces Onusiennes (casques bleus) qui conservent un avantage comparatif certain en termes de neutralité et de légitimité ou de l’Union Africaine qui, dans un contexte très difficile, avait permis de limiter les massacres avant que ses soldats découragés, ne profitant pas des fonds promis par les pays européens (qui n’ont finalement jamais été versés), jettent le discrédit sur l’efficacité de l’Amis (Mission de l’Union Africaine au Soudan). La mission hybride Union Africaine – ONU, qui opère aujourd’hui au cœur du conflit, manque cruellement de moyens et surtout d’arguments politiques à faire valoir à Khartoum. Là est peut être l’avenir de l’Union européenne dans la région : moins visible mais peut-être plus nécessaire et efficace.

 

[1] Pour un descriptif beaucoup plus substantiel des dimensions historiques et régionales du conflit voir "The Chad–Sudan Proxy War and the ‘Darfurization’ of Chad : Myths and Reality"

[2] Voir ’Porous Borders and Fluid Loyalties : Patterns of Conflict in Darfur, Chad, and the CAR’

[3] Le Figaro, "Ganascia : Il faut revoir les missions de l’Eufor au Tchad", 10 juin 2008

[4] [« La force est au Tchad, mais où est l’ennemi », Le Monde, 24 mai 2008]

[5] Voir ’The Politics of Naming : Genocide, Civil War, Insurgency’

[6] Voir "Le TPI accuse le président soudanais de génocide",Le Figaro, 14 juillet 2008

 

 

Partager cette page
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :