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" Nous devons nous demander au nom de quoi on laisse faire cela "
11/04/2009

 

 

Emilie LELOUCHE / Membre de l'Arche de Zoé

L'opération échouée de l'Arche de Zoé avait marqué les habitants du Pays Basque en 2007. En effet, plusieurs familles s'étaient engagées à accueillir les enfants soudanais qu'avait rassemblés l'ONG française. Aujourd'hui, Emilie Lelouche, une des responsables du projet, témoigne de cet épisode qui n'est pas encore terminé, dans le livre Nés pour mourir ? (éditions Gatuzain).

Vous êtes sortie de prison il y a un an. Vous êtes tout de même sous le coup d'une procédure judiciaire. Où est-ce que cela en est ?

On est sortis de prison, mais on n'est pas sortis d'affaires, en effet. Nous avons été mis en examen pour intermédiaire de l'adoption, tentative d'aide de séjour irrégulier d'étrangers en France et escroquerie. Cependant il n'y a aucune preuve matérielle ou intentionnelle qui amène quelque chose de rationnel, qui dit voilà la culpabilité, voilà la preuve. Pourtant, nous savons qu'il ne peut pas y avoir eu un tapage médiatique aussi puissant contre nous pour que cela finisse en non-lieu.

Ils n'ont pas de preuve, dites-vous ; est-ce que vous vous en avez ?

C'est cela qui est fou dans cette affaire. Nous devons prouver notre innocence ! Depuis plus d'un an, nous amenons des preuves de vidéo : les réunions avec les familles, l'explication des tenants et des aboutissants de notre projet, le mode opérationnel, le fait que cela soit un accueil et pas une adoption...

Et concernant l'argent que vous réclament certaines familles ?

Les familles ont signé une charte d'engagement précisant qu'ils faisaient un don. Elles ont également signé que c'était un accueil et non une adoption. Et aujourd'hui, sur 259 familles, il y a une petite minorité qui porte plainte.

Et sur le problème de l'inégalité de cette opération ?

Nous nous basons sur la Convention de Genève : ce sont des enfants d'un pays en guerre et cette convention, la déclaration universelle des droits de l'Homme, ainsi que la charte des droits de l'enfant, toutes stipulent que lorsque sa propre vie est en danger, une personne a le droit sans visa ni titre de voyage de quitter son pays et de demander l'asile politique. Et le seul statut que nous avons cherché est le statut de réfugiés politiques. C'est vrai qu'on nous dit qu'ils sont du Tchad, mais ils n'ont pas de preuve.

Et vous, en avez-vous ?

Mais il n'y a pas de document ; c'est la guerre là-bas ! Partir dans ce sujet-là, c'est vouloir transposer notre notion de certitude occidentale à une notion de certitude africaine. Nous avons passé des semaines avec des enfants qui n'ont pas été réclamés.

La manière par laquelle ces enfants de cinq ans se sont investis dans l'espace affectif, alors qu'ils se trouvaient dans une zone de guerre, prouve qu'ils n'avaient pas de repère. Cela ne veut pas dire qu'ils n'avaient pas de famille ; cela veut dire que nous n'avons pas vu ces familles-là.

Nous nous trouvions dans une situation de guerre, une situation extrême et nous avons choisi une solution extrême. Pourtant, un an et demi après, il n'y a aucune victime identifiée... En plus, les fiches de ces enfants élaborées a posteriori par l'Unicef ne sont pas cohérentes et ne précisent pas la nationalité de ces enfants.

Où sont ces enfants aujourd'hui ?

Dès qu'ils nous ont arrêtés, ils nous ont dit qu'ils étaient tchadiens. Mais ils ont passé des mois dans un orphelinat. Maintenant nous ne savons pas où ils sont, et nous ne le saurons pas. Qui peut reconnaître maintenant ces 103 enfants ? Nous sommes six à pouvoir le faire. Sur ce point, les médias se sont fait avoir par les gouvernements.

Avez-vous obtenu les autorisations des gouvernements ?

La seule chose dont ils n'étaient pas au courant c'était l'imminence du départ. Par ailleurs, le Gouvernement français n'allait pas s'engager par écrit pour accueillir 103 Africains. Cela nous paraît tellement évident ! Cela dit, nous avons eu des rendez-vous informels avec des membres du gouvernement, oui.

Est-ce que c'est suffisant de prévenir pour une opération d'une telle ampleur ?

A partir du moment où c'est une action politique qui dénonce le comportement de la France en Afrique, ils pouvaient nous dire ce qu'ils voulaient. Nous, nous avions préparé cette opération avec des juristes qui nous disaient que le droit international suffisait.

Ensuite, on nous dit qu'il fallait les laisser sur place, mais sur place c'est la guerre ! Un enfant qui a vu sa mère violée et qui a dû quitter son village est déjà déraciné. Cela se traduit par : «ah, c'est con les gars, il fallait naître en France». Au nom de quoi on laisse mourir les gens ?

Que pensez-vous du traitement médiatique de cette affaire ?

Dans cette affaire, je ne sais pas qui est le coupable, les médias ou les politiques. En politique lorsque quelqu'un veut toucher un adversaire, on s'attaque à la personne. Dans cette affaire, les journalistes ont joué aux apprentis psychologues, analysant notre personnalité ; tout pour ne pas parler de la responsabilité de la France. Ils ont fait confiance à des intermédiaires. Aucun d'eux n'est allé au Tchad, n'a rencontré les enfants.

Vous dîtes vouloir dénoncer une situation ; cela ne vous pose pas de problème éthique d'utiliser des enfants pour cela ?

Je pense que lorsque la vie d'un enfant est en jeu, il faut arrêter de se poser ce genre de questions. Pendant ce temps, des enfants meurent. Plutôt que se demander au nom de quoi on fait cela, nous devons nous demander au nom de quoi on laisse faire cela. Et en face, ils ont utilisé ces enfants pour des raisons économiques. Les Tchadiens se fichent de ces enfants !

Regrettez-vous cette opération ?

Bien sûr que non, même si c'est quelque chose qui a été dur à vivre... La seule chose que je regrette, c'est que ces enfants sont encore là-bas.

Goizeder TABERNA

Tag(s) : #France
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