Le vrai problème ou mal tchadien ce sont les attitudes et les comportements des Tchadiens vis-à-vis de la chose politique dans leur pays. Ce sont ces attitudes et comportements politiques des Tchadien(ne)s qui ont engendré le vide politique autour du pouvoir d’État, l’incurie de rébellions armées, la boulimie du pouvoir et l’incapacité notoire des chefs de partis politiques, chefs rebelles et soi-disant “libérateurs” du peuple tchadien –connus comme originaires de la zone méridionale ou du septentrion tchadien - à mettre terme au banditisme contre le pouvoir d’État au Tchad.

De Ngarta Tombalbaye en passant par Hissein Habré et Idriss Deby, les Tchadiens ont adopté des comportements et attitudes de complices tout en agissant comme détracteurs de leurs dirigeants afin d’oublier leur part de responsabilité dans le mal qu’ils continuent d’infliger à leur pays. Tout compte fait, les fossoyeurs et destructeurs de la nation tchadienne sont les Tchadiens eux-mêmes, sans exception d’ethnie ou de dirigeants. Aujourd’hui, les Tchadien(ne)s, qu’ils soient de l’intérieur ou de la diaspora, n’ont de cœur que pour leurs intérêts personnels, partisans et familiaux. Les intérêts du Tchad en tant que nation peuvent toujours attendre.

Ainsi, la prise du pouvoir sur la base ethnique, les rebellions sans victoire ni programme politique, l’ambition des tarés de la société de diriger ce pays et le manque criard de civisme et du devoir patriotique chez les Tchadiens ont poussé les dirigeants à voir les soulèvements populaires et rebellions armées comme des actes irréfléchis et non des moyens de pression pour apporter le changement désiré. Alors, la médiocrité et cécité politiques des soi-disant « libérateurs » du peuple tchadien ont fait plus de mal au pays que changé la situation. En son temps, le défunt président Ngarta Tombalbaye qualifiait ces révolutionnaires de « bandits », l’ex président Hissein Habré les appelait « marionnettes à la solde de l’étranger », et aujourd’hui le président Idriss Deby Itno les taxe de « mercenaires » soudanais et/ou à la solde du Soudan ». Ces vocables témoignent que les Tchadiens n’aiment pas leur pays et préfèrent contribuer eux-mêmes à sa destruction.

Pourquoi ces révolutions, résistances ou rébellions sans victoire définitive doivent-elles toujours être l’apanage d’une faction armée ou d’un gang de mécontents de l’armée tchadienne ou des ressortissants du septentrion contre le pouvoir d’État? Et pourquoi ces déboires politiques, tout comme l’incivisme et le manque du devoir patriotique de ces bandits armés contre le pouvoir d’État au Tchad doivent-ils être attribués au peuple tchadien dans son ensemble? En fait, le peuple tchadien s’est laissé tromper par ces « révolutionnaires » parce qu’il n’est jamais arrivé à faire un discernement entre ces banditismes contre le pouvoir d’État et ses propres devoirs patriotiques, démocratiques et civiques. C'est-à-dire, les Tchadiens dans leur ensemble continuent de rêver, même pendant ce siècle ou l’information se trouve à la portée de main, pour ne pas réfuter ou corriger ce qui opprime. Cependant, qu’ils soient de l’intérieur ou de la diaspora, les Tchadien(ne)s agissent dans la majorité comme des escapistes qui attendent à ce que soit la France, les rebelles ou Dieu mettent terme à ce fléau politique qui les avilit et gangrène le pays.

Ce n’est pas de l’exagération de dire que les Tchadiens ont toujours agi comme des extraterrestres habitant ce pays d’Afrique. Car pourquoi, en tant que peuple ou nation, les Tchadiens n’arrivent-ils pas toujours à trouver une solution adéquate, définitive et durable à leurs différends qui n’existent que parce que fabriqués par ceux qui en profitent? Pour preuve, le conflit a changé de nature et teneur pour devenir banalement une affaire de ralliement d’individus, de clans et d’anciens complices au lieu d’être l’affaire d’un peuple qui veut changer le cours de son destin. Et le temps passe, mais les Tchadiens et leurs conflits demeurent !

Tout de même, savons-nous pertinemment que ceux qui combattent les régimes tchadiens –révolutionnaires, nationalistes ou démocratiques etc.- depuis le « Soleil des Indépendances » à nos jours ne le font pas pour la majorité silencieuse des Tchadiens? Car rares sont les conflits ou guerres déclenchés au Tchad par devoir patriotique ou cause nationale. Alors, c’est ce débat qu’il nous faut aborder et auquel doivent participer tous les esprits honnêtes, et non malins, de la communauté politique tchadienne, où qu’ils soient, afin d’exorciser un tant soit peu ce mal tchadien et permettre au vent de la paix de souffler à jamais dans ce pays que nous aimons encore tous.

Tout conflit n’a pas que de côtés négatifs. S’il est bien géré, un conflit est une source d’enrichissement mutuel qui permet aux éléments antagonistes de se connaitre, de s’ajuster ou de s’adapter à la nouvelle réalité qui crée ou qui a créé le conflit. Et le dialogue est ce pas vers la résolution de tout conflit. Malheureusement, le dialogue est une denrée rare chez nous les Tchadiens. J’ai employé le mot géré car il y a une part de responsabilité dans tout conflit que les éléments en présence doivent reconnaître en cas d’échec, de victoire ou de paix de braves etc.

Parlant du Tchad, il est de notoriété publique que le conflit tchadien est « mal parti » et mal géré par ceux qui l’ont initié dès le début des années soixante. C'est-à-dire la révolution du Frolinat - ce sur quoi tous les alibis des conflits et guerres tchado-tchadiens se fondent- n’a fait que de morts sans pour autant éradiquer le mal ou changer les conditions socio-politiques pour lesquelles il a vu le jour en 1963 à Nyala, Soudan, Afrique. Vu la banalisation actuelle du conflit tchadien, peut-on savoir exactement ce que ce machin de révolution du Frolinat et ses rejetons de rebellions « nordistes/claniques » ont concrètement changé au Tchad ?

L’échec de la révolution du Frolinat et ses conséquences néfastes actuelles semblent dire que ses géniteurs ont ouvert la boite à pandore de l’ethnisation politique des différences culturelles, ciment de la nation tchadienne, plutôt qu’axer la lutte sur un devoir patriotique pour éradiquer ce qui divise et gangrène le pays. Par exemple, les scissions au sein du Frolinat et la ramification de rebellions sœurs au niveau du septentrion tchadien prouvent à suffisance que les intérêts personnels priment sur la survie collective chez les dirigeants des rebellions. Et le cas le plus frappant de tares politiques chez les dirigeants des rebellions tchadiennes est la défaite de la coalition rebelle en février 2008 dans la capitale N’djamena et devant les portes de la présidence. Là, les « libérateurs » du peuple tchadien ont choisi d’abord de régler leurs intérêts égoïstes avant de soulager le peuple à travers le changement qu’ils chantaient depuis les grottes et dunes de sable.

Par ailleurs, l’avènement de la démocratie qui devrait réveiller le sens du devoir patriotique chez les Tchadien(ne)s n’a servi malheureusement que de mangeoire à l’élite politique tchadienne. Car la pléthore de partis politiques au début des années 90 au Tchad a fait plutôt place à un essaim de rebellions armées. Le défunt ancien premier ministre, monsieur Joseph Yodeiman, disait à Deby qu’il fallait laisser les gens créer leurs partis. Car pour lui, ces partis vont mourir de leur belle mort faute de moyens et conviction politique de leurs dirigeants. Et aujourd’hui, le défunt premier ministre Yodeiman a raison; car des 70 partis créés à la hâte dans les années 1990 pour concurrencer le MPS, seul l’ANS et la GR évoluent sur le terrain politique et social au Tchad. En fait, les chefs de partis sont tous partis manger à la soupe du MPS. Et partant, ils sont tous paralysés parce que rassasiés par les déboires de leurs faux jeux politiques au détriment de la cause nationale.

Les conséquences des déboires patriotiques des dirigeants politiques tchadiens sont criardes: il y a aujourd’hui une jeunesse tchadienne sans repère et une sénilité sans histoire ni sagesse au Tchad et dans la diaspora. C'est-à-dire, le Tchad est ce pays ou les vieux observent les événements et les jeunes écrivent l’histoire. Ainsi, il y a un déphasage au niveau de la responsabilité et dans les rapports intergénérationnels chez les Tchadiens en général. Pis, il n’y a eu aucune alternance à la tête des partis en vie et aucun chef de parti politique au Tchad n’a préparé un dauphin politique. Cela sous-entend qu’ils se disent intérieurement ceci: après moi il n’y a pas de parti! Et c’est ainsi que le peuple tchadien perd souvent devant son rendez-vous avec le changement. Bref, il n’y a pas d’osmose d’une part entre les Tchadiens de l’extérieur ou de la diaspora eux-mêmes et ensuite entre ceux de l’intérieur et de la diaspora d’autre part. Chacun cherche à assurer sa propre survie ou celle de ses progénitures. Et le pays est laissé dans les mains des justiciers de l’état tchadien que sont les bandes de rebelles.

Aussi, ce qui est déplorable pour le moment dans l’éradication du mal tchadien c’est que le garant de l’unité nationale et de la paix au Tchad, le président Idriss Deby Itno, utilise toujours une approche qui ne fait qu’entretenir le mal. C'est-à-dire, le président Idriss Deby est trop sélectif dans sa stratégie de paix et aime régler les choses au cas par cas. Cela crée jusqu'à là de méfiants et mécontents plutôt que des alliés. Qui de Deby, du peuple tchadien, de l’opposition et des bandes de rebelles a-t-il peur de la paix au Tchad? Selon certaines indiscrétions, le Président Idriss Deby tient à la paix et à l’unité du Tchad. Mais on ne sait pas concrètement ce qui l’en empêche. Constatant le manque d’amour patriotique des Tchadien(ne)s, il aurait fait comprendre cela au parterre de Tchadiens venus l’écouter lors de sa visite au Canada en 2008 dans le cadre de la francophonie. Le président aurait lâché ce qui suit à son auditoire: “Que les Tchadiens m’aiment ou pas ce n’est pas mon problème. Cependant, le Tchad vous appartient et c’est de votre devoir de le construire.” Parole d’officier ou de président, à chaque Tchadien(ne) d’en juger la teneur et portée.

Ce qui est sûr, il y a un travail de conscientisation nationale à faire. Malheureusement, toutes les sources de media tchadiennes qui sont sensées contribuer à la formation et à l’éducation citoyenne des masses se rivalisent plutôt dans des attaques personnelles qui entrainent parfois à l’assassinat de caractère qu’au renforcement des capacités des Tchadiens. Tout de même, à mon humble avis, toute victoire sur Idriss Deby ne va pas radicalement éradiquer le problème/mal tchadien. Ça serait juste un changement d’appellation de régime, de parti, d’ethnie, de rébellion et de personne ; mais le mal/problème tchadien, lui, restera pendant des générations à venir si l’on ne songe pas dés maintenant à régler cela par la manière violente de se dire les choses en face. Et le seul cadre qui sied aux uns et aux autres de le faire, c’est ce que la communauté politique tchadienne appelle à tort ou à raison, dialogue inclusif, négociation globale, conférence de paix et réconciliation, commission justice et paix à la tchadienne etc. Peu importe l’appellation autant pour moi. Car c’est le ferme engagement des “bandits tchadiens” et de l’actuel président à ramener la paix ainsi que la participation de tous qui détermineront le sens collectif qu’on veut donner à ce cadre de dialogue. En attendant l’accomplissement de ce sursaut patriotique, que les uns et les autres cessent de “manger piment dans la bouche” du peuple tchadien à travers des guerres de libération, des révolutions ou rebellions sans une victoire définitive pour le peuple. Néanmoins, la victoire définitive du peuple tchadien sur lui-même viendra quand il déclenchera sa guerre contre ces soi-disant sempiternels justiciers du pouvoir d’État au Tchad.

Par Laounodji M.Monza

laoumonzal@yahoo.fr

Washington DC, USA